Homélie du 4e dimanche de Carême

HOMÉLIE DU 4° DIMANCHE DE CARÊME (Année A)

– La guérison de l’aveugle-né (Jean 9/1-41) –

 

 

  Après le récit de la Samaritaine dimanche dernier, avant celui de la Résurrection de Lazare dimanche prochain, voici un autre long récit dans l’Évangile selon Saint Jean : la guérison de l’aveugle-né. Ces trois grands récits ont pour but d’aider les catéchumènes sur le chemin de leur baptême… et pour les « vieux baptisés » que nous sommes de nous rappeler les signes que le Seigneur nous a faits ce jour-là. Comme la Samaritaine avait découvert l’eau vive au puits de Jacob, nous avons été baptisés dans l’eau… Comme Lazare a été libéré des ténèbres du tombeau,  nous sommes déjà passés de la mort à la Vie… Et de même que l’aveugle a trouvé la Lumière, de même nous sommes devenus, selon les mots de l’apôtre Paul, des « enfants de lumière ».

  Une fois de plus, cette page d’Évangile est si dense, si riche, que j’en relèverai seulement quelques aspects. Tout commence par une question des disciples : Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » La question peut nous paraître simpliste. Mais ne rejoint-elle pas ce réflexe traditionnel qui nous fait dire : « Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour que tel ou tel malheur m’arrive ? ». Pourquoi ces soubresauts de la planète, ce coronavirus, ce dérèglement climatique ? Nous avons certes notre part de responsabilité… mais il y a aussi ce qui nous échappe ! Et Dieu, que fait-il ?

  Et Jésus de répondre : « Je suis la Lumière du monde ». Il se révèle d’entrée, avant même de faire quoi que ce soit pour cet homme… Nous ne savons pas quand prendra fin cette épidémie ; mais si au moins les hommes, une fois cette crise passée,  pouvaient abandonner l’idée qu’ils sont eux-mêmes des dieux, l’idée qu’ils peuvent être maîtres de leur destinée sans avoir besoin du Seigneur ! Oh, ne nous faisons pas d’illusion. Régulièrement dans l’histoire les hommes on dit : »Ça y est, on a compris ! »… avant de reprendre le cours de la vie ordinaire, avec son lot de chamailleries, leur soif de dominer et la course au fric !… « Je suis la Lumière du monde », dit Jésus.  Ah ! Si tous les humains pouvaient entendre ces mots au plus profond d’eux-mêmes et ne pas chercher ailleurs un sens à leur vie !?…

  Voilà Jésus qui fait de la boue avec sa salive. L’aveugle n’a rien demandé ! Jésus est en train de poursuivre l’œuvre de la création. Rappelez-vous le livre de la Genèse : Dieu avait façonné l’homme avec de la boue ! Quand Dieu crée, il ne demande pas l’avis de sa créature ; il donne gratuitement.

  Mais l’homme a aussi sa part à accomplir. C’est pourquoi Jésus demande à l’aveugle d’aller se laver à la piscine de Siloé (Siloé qui veut dire ‘envoyé’). Ainsi, en même temps qu’il va bénéficier du don de Dieu, cet homme est envoyé comme témoin auprès de ceux qui l’entourent. Tout le reste du récit évangélique ne va être d’ailleurs que témoignage. Et comme tout témoignage, il n’est pas forcément reçu ! Peut-être pouvons-nous trouver dans cette aventure de l’aveugle guéri une force pour tenir bon malgré les difficultés, les oppositions ou les indifférences rencontrées, lorsque nous essayons de dire notre foi…

 Les interrogations, en effet, sont multiples. On doute même de son identité. « Est-ce bien lui ? » disent les passants… Même ses parents son interrogés : « Oui, c’est bien lui ! » Mais ils ne laissent apparaître aucune joie à cette guérison, comme s’ils l’avaient abandonné depuis longtemps : c’est la peur qui l’emporte !… Et les questions qui se succèdent, y compris de la part des pharisiens, vont conduire cet homme à progresser dans la foi : « C’est un prophète », dit-il… Toute adversité a cela de bon qu’elle nous conduit à creuser un peu plus, à préciser notre foi… Et l’ancien aveugle d’affirmer : « Il est de Dieu ». Sans pouvoir dire plus, il est spur : ce Jésus n’est pas qu’un homme. Quand on en arrive là, au point de dire « Il est de Dieu », c’est qu’on a fait un pas de gé&ant dans la foi ! Lui qui ne voyait pas voit désormais ce que les pharisiens, qui croient voir, ne voient pas ! Ne sommes-nous pas tous des mal-voyants sur le plan de la foi ?

  Après toutes ces allées et venues où l’ancien aveugle est ballotté comme on se renvoie une patate chaude, le voici à nouveau devant Jésus : « Crois-tu au Fils de l’Homme ? ». Étrange question ! Après l’avoir nommé ‘prophète’ puis ‘de Dieu’, l’homme ne comprend pas bien… « Fils de l’Homme ? » : voilà une appellation connue depuis le livre de Daniel, mais elle restait bien mystérieuse, d’autant que lui, du fait de son handicap, était exclu de la synagogue et de tout rassemblement de croyants : « Tu es tout entier dans le péché », lui avaient dit les pharisiens. « Le Fils de l’Homme, tu le vois, c’est lui qui te parle », dit Jésus. Alors l’homme se prosterne à ces pieds : « Je crois, Seigneur ! ». Quelle foi, quel abandon ! Demandons au Seigneur cette même confiance absolue…

  C’est alors que Jésus va développer, devant les pharisiens cette fois-ci, son message : « Je suis venu pour un jugement ». Qu’est-ce que rendre un jugement sinon faire la lumière ? Mais pour accueillir cette Lumière, un obstacle se dresse devant eux : le Sabbat ! C’est un jour de Sabbat que Jésus avait accompli cette guérison ; la Loi l’interdisait !… Pour nous chrétiens, le Sabbat s’est changé en dimanche. Il est incroyable que nous soyons à ce point prisonniers des lois au point de ne plus voir l’essentiel ! Le même appel nous est toujours adressé : « sanctifier » ce jour, en faire un jour Saint, « à part »… Un jour pour prier, mais aussi nous rapprocher des frères. La messe du dimanche est un commandement, une recommandation de l’Église. Pour des raisons exceptionnelles, celle-ci nous en dispense en ce moment. Acceptons-le au nom d’un bien supérieur : empêcher la contamination galopante de cette épidémie du coronavirus ! Rapprochons-nous de nos frères et sœurs isolés ou malades. À défaut de pouvoir le faire physiquement, nous avons la chance de bénéficier aujourd’hui de moyens de communication inconnus de nos ancêtres : le téléphone, les réseaux sociaux. Sachons les utiliser pour un surcroît de fraternité. Jésus aurait pu laisser l’aveugle au bord du chemin. Il a osé s’en approcher. Faisons de même.

 

Bruno DEROUX